Monday, May 14, 2012

Huangshan: L'aube

Biiip, Biiip, Biiip. Il est 4h du matin au sommet de la montagne jaune et notre chambre est toujours plongée dans une obscurité digne du plus profond de la nuit. J'ouvre lentement les yeux du haut de mon lit à deux étages et force mon cerveau à répondre aux questions élémentaires: ''Où suis-je?'', ''Qui suis-je?'', ''Est-ce que les Chinois comptent les moutons ou les yaks pour s'endormir?''... Ayant finalement compris que nous avions volontairement décidé de nous réveiller avant le soleil, pour justement le voir se lever sur les montagnes, je descends l'échelle pour découvrir ma mère assise sur son lit, déjà vêtue de son poncho et prête à sortir la lampe de poche à la main. Tout de suite, je la regarde d'un air de dire: ''Tout va bien du côté musculaire M.Spock?'' et elle de me confirmer tout ça par un mouvement de tête positif... La question est légitime car nous avions quand même marché plusieurs kilomètres la veille et la possibilité qu'elle ne puisse pas se déplier faisait partie de nos pires scénarios. Mais non, comme une poulette de vingt ans, elle est prête et en quelques minutes, nous valsons sur la pointe des pieds autour de la chambre en nous préparant pour ne pas réveiller nos colocs chinoises endormies. Finalement, nous saisissons nos sacs à dos, déterminées à affronter les sentiers traîtres de Huangshan à la noirceur... et qui sait, peut-être aussi les bestioles qui s'y cachent!

À l'extérieur de la chambre, l'air frais se faufile à l'intérieur de notre manteau et nous réveille instantanément. Dans le ciel, une lune presque pleine baigne tout ce qui nous entoure d'un reflet bleuté et nous semblons transportées sur une tout autre planète. Les arbres, les roches, le vide si proche de nous prennent une tout autre allure; il n'y a plus aucune profondeur au paysage, nous regardons un décor en 2D. Tout est silencieux autour de l'hôtel et nous continuons à chuchoter en marchant, nous sentant comme des intrus dans la nuit tranquille de la montagne. Pour la première fois en plusieurs jours, en levant la tête vers le ciel chinois, nous aperçevons quelques étoiles qui se sont frayé un chemin à travers l'écran de nuage perpétuel. Notre cerveau prend quelques secondes à réaliser que les astres, vus de cette position sur la terre, ne sont pas à leur endroit habituel et cette constatation m'amuse - une autre preuve que je suis véritablement de retour de l'autre côté de la planète. Nous empruntons le chemin pavé à gauche de l'auberge, rigolant de notre maladresse et de nos lampes de poche d'hygiénistes dentaires qui ne font que confondre notre vision nocturne encore plus. (Disons que dans un film d'horreur nous ne ferions pas long feu... courant probablement à toute vitesse vers l'arbre le plus proche, un minuscule faisceau lumineux s'agitant frénétiquement dans la forêt) Les marches sont inégales et à peine assez grandes pour nos pieds alors nous grimpons avec prudence. En fait, depuis quelques semaines avant notre départ, ma mère a cette peur bleue qu'elle va glisser sur un quelconque crottin chinois et endommager une partie de son corps, alors l'importance d'y aller lentement est notre priorité.

Notre but est d'atteindre un des sommets de Huangshan avant le lever du soleil et de nous y installer pour être témoin de l'arrivée du jour sur les montagnes. Ne nous contons tout de même pas d'histoire, avec la brume de la veille, il n'y a aucune chance que nous voyions le soleil, mais nous considérons notre ascension comme un petit rituel - nous avons fait l'effort de nous lever à une heure indécente et comme récompense nous sommes finalement seules avec la montagne, nos pensées et le bruit poétique de nos pas... Andréanne: ''Ok maman ça monte... ouch... maudite roche... attention...'', décidément que de paroles touchantes!

Après une bonne centaine de marches, nous débouchons sur un petit plateau où nous pouvons profiter d'une vue à 360 degrés des montagnes toujours plongées dans l'obscurité. Feignant un petit pique-nique nocturne, nous sortons nos couvertures à carreaux et nous nous installons confortablement pour attendre le spectacle. ''Krrrrrrreeererererer (râclement de gorge)...'' comme de fait, un Chinois est bien souvent plus rapidement entendu que vu et ce bruit guttural de compétition nous annonce que nous aurons bientôt de la compagnie. (Il ne l'avouera jamais, mais je suis certaine qu'il voulait entendre l'écho de son bruit de gorge dégueu en cachette.) ''Oh ho ho Laowaiii!!'', s'écrit-il tout excité de sa chance... eeeeeet sur ce, telles des mouettes effrayées près d'une poubelle, nous irons nous asseoir un peu plus loin.




 Finalement, le paysage change. Très lentement, quelqu'un... quelque part... se met à lever le ''dimmer'' du soleil et la clarté gagne tranquillement du terrain sur les montagnes. Tel que prévu, il n'y aura pas de soleil, mais nous sommes tout de même témoins d'un phénomène étrange: De gros amas de nuages blancs se mettent à s'enrouler autour des rochers comme le feraient d'immenses reptiles et circulent autour des pics en quelques secondes. Le mouvement des vagues de nuages est étonnant et rapide et le mélange d'air froid et chaud provoque même une montée à la verticale de la brume juste sous nos yeux. Si proche, que nous pourrions presque la toucher... Le surnom ''Floating Mountains'' de Huangshan prend tout son sens et c'est spectaculaire.

Nous restons plusieurs minutes à observer l'horizon et les changements qui s'y produisent, mais nous nous mettons ensuite en marche pour profiter du calme dans les sentiers de ce début de journée prometteuse. Dès que nous effectuons notre première descente à travers les nuages, nous nous retrouvons prises entre les courants froids et chauds et les nuages volant sous notre nez. À perte de vue, les montagnes de Huangshan se dévoilent aussi, finalement sorties de leur brume de la veille et s'étirant sur plusieurs kilomètres.

Tout cela pour dire qu'à 8h du matin, nous étions déjà dans le premier téléphérique redescendant la montagne, prête à revenir à Hangzhou pour profiter de notre dernière journée avant notre départ du lendemain pour Kunming. La promesse d'un voyage en autobus aussi agréable que lors de notre arrivée nous mettait le sourire aux lèvres, jusqu'à ce qu'on nous dépose devant le terminus... 
     

1 comment:

  1. Waw. Merci pour ce petit voyage à Huangshan !
    Grâce à toi, j'ai même eu droit (de nouveau) au raclement de gorge et au "laowai !" qui m'irritaient tellement les oreilles !
    C'est comme si j'y étais !

    Tu imagines si, au lieu de renvoyer l'écho du "Krrrrrrrr" la montagne elle-même faisait tout simplement comme eux et allait cracher un ou deux touriste dans la vallée ? ^^
    (Désolée pour la longueur du lien : http://www.m6bonus.fr/videos-series-2/videos-avez_vous_deja_vu_-7748/saison_2/video-des_maisons_qui_jouent_a_qui_crache_le_plus_loin_-61330.html)

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