Friday, August 24, 2012

Sur un air connu..

''ANNDYYY!!'', mon pote prof de japonais joggeur Taka se tient à quelques centimètres de mon visage, n'arrivant pas à croire que je me trouve véritablement devant lui au beau milieu de l'auditorium de l'Université. ''You came back??'', me demande-t-il alors fou comme un balai, mais je rectifie immédiatement le tir, ''Ohhhh no, no, nonono! Let's not get carried away here! I am JUST visiting''... Je lui présente ma mère et lui explique le but de notre voyage tout en prenant de ses nouvelles. Il me semblerait que rien n'a vraiment changé sauf qu'il pense retourner au Japon l'année suivante et me tend sa carte d'affaire ''si jamais je passe par Okinawa''...hum, c'est à voir! Avec Shannon et Brett qui sont aussi sur leur départ,on dirait que tout le monde quitte la ville en même temps, ça serait bien différent l'année suivante! Je profite de la pause avant le concours pour saluer quelques anciens étudiants et faire un tour au petit coin (...de mur où on doit faire pipi) mais à mon retour je tombe nez à nez avec mon ancien patron qui prend quelques secondes à comprendre ce qui se passe devant lui. Je peux pratiquement voir le petit hamster dans son cerveau qui fouille dans son répertoire mental de ''visages blancs'' pour qu'il se souvienne finalement à qui appartient ce gros nez. Et la lumière jaillit lentement du tunnel... ses yeux s'écarquillent un peu... sa bouche s'entrouvre... Andy! Bingo! Je lui fait mon plus grand sourire et ricane un peu de son air qui semble se dire: ''... mais elle n'a pas quitté Shangqiu l'année précédante? Est-ce qu'un de mes profs serait tombé entre les craques?''.

Shannon me rappelle vite à mon siège et tappe sur l'épaule de l'homme assis devant elle. ''Andy, this is Mark''. Oh mais j'ai déjà entendu ce nom quelque part! C'est le pauvre père de famille qui habite maintenant dans mon appartement! Physiquement, il semble être parti en voyage dans les années '70 quand il était ado et de n'être jamais revenu, s'est nourri de cocaine et de cigarette et se retrouve maintenant avec un mini fohawk poivre et sel, une barbichette de la même couleur, des boucles d'oreilles et un bon vieux t-shirt noir troué d'un band obscur. Vraiment, il donne fière allure aux étrangers (...not)!  ''Hi Mark, I used to teach here and you are now in my fabulous flat! haha'', que je lui réponds en riant.... sur quoi il hausse les épaules, souffle un faible ''Heeey'' et se retourne sans un mot de plus...  pauvres étudiants, je te dis qu'il doit les exténuer avec tout son enthousiasme! Bref, je fais un petit salut aux Glyn et Adam 2.0 (la nouvelle batch d'enseignants envoyé à Shangqiu par la compagnie britannique TTC) et le spectacle commence. À ce niveau-là, je peux vous assurer qu'exactement rien n'a changé... du Céline Dion, du Lady Gaga, un peu de break-dance, du Kung-Fu... mais la palme de la soirée revient à un étudiant, oserai-je dire ''de la Chine future'', qui balance son homosexualité en plein visage des spectacteurs et les envoute avec un numéro lascif de ''Sexy Back'' qui laisse tous les étrangers la bouche grande ouverte de stupeur! De chaque côté de nous, les chinois sont hilares, trouvant que ce jeune homme est bien ''original'', mais sans jamais se douter qu'il n'est qu'à une paire de talons hauts d'être la première drag-queen de Shanqiu! Vraiment, son déhanchement fait envier toutes les femmes présente et il termine même son numéro en ''flirtant'' avec le prof Mark. De...toute...beauté!

Finalement, après le concours, nous nous retrouvons tous chez Shannon pour prendre une bière et manger du fromage (c'est l'appât pour les étrangers en Chine: ''Venez chez moi, j'ai du fromage!!'') et nous pouvons discuter un peu plus avec le nouveau groupe de profs. Mark et sa femme Cécilia viennent en fait des Philippines et ils travaillent à Shangqiu pour se ramasser un peu d'argent pour se faire construire une maison. Ils ont déjà enseigné dans leur pays, mais le salaire est tellement minime que ce qu'ils vont ramener de Shangqiu fera réellement une différence. Au courant de la soirée, la bière coule à flots et nous nous amusons beaucoup, mais je n'arrive pas à m'empêcher d'imaginer la même scène, quelques mois plus tôt, alors que Naik, Adam, Glyn et même Ciaran étaient dans le même salon à discuter de notre charge de cours ou de notre prochain voyage à Zhengzhou. À ce moment, mes amis me manquent terriblement et je comprends que mon expérience à Shangqiu n'aurait pas eu le même sens si je ne l'avais pas partagé avec eux. Seule, je souris et je pense à eux, me transportant pendant quelques minutes, dans le Shangqiu de mes souvenirs. La soirée tire maintenant à sa fin et nous quittons l'appartement de Shannon pour notre chambre d'hôtel et du repos avant de vraiment explorer Shangqiu le lendemain. Au menu: massage, promenade et repas en ville... et la plus petite quantité possible d'expériences traumatisantes!  

Thursday, August 2, 2012

Kung Pao en bonne compagnie

À midi, nous marchons vers l'entrée de l'école pour retrouver mes amis chinois et partager un repas à ce qui est selon moi, le meilleur restaurant du pays. Depuis maintenant plusieurs mois, je salive à l'idée de replonger mes baguettes dans une immense assiette de Tong Su Xi Zi (de aubergines douces-amères) ou une salade froide de concombre... J'ai d'ailleurs lâché des jurons colorés à quelques reprises dans ma cuisine de Québec en essayant de reproduire les plats du restaurant Chongqing, mais me retrouvant à tout coup avec une ''bouette'' orange et quelques morceaux durs d'aubergine... Il me faudrait probablement kidnapper le mari de la proprio (ZE chef) et ça ne passerait pas inaperçu aux douanes! Bref, je ne peux attendre une seconde de plus pour finalement aussi mettre de la nourriture solide dans mon estomac en convalescence. Je m'en fous pour sa petite sensibilité, il aura la totale aujourd'hui ET IL LE DIGÈRERA... bon!

En tournant le coin, je vois Emily (mon étudiante qui m'a aussi servi de manager pendant ma courte carrière de mannequin chinoise...) qui cours dans ma direction et se propulse dans mes bras. Il n'y a pas à dire, elle n'a pas grandi d'un centimètre mais elle est beaucoup plus coquette! Un peu de maquillage, les cheveux en boucles, de nouveaux vêtements... je soupçonne tout de suite qu'il y a anguille masculine sous roche! D'un seul coup elle s'exclame: ''Wow Andy, you are so pretty now!''... et dans un moment triomphal pour son ancienne enseignante, elle remarque sa petite maladresse anglophone et se corrige tout de suite: ''I mean... you were pretty last year too!!''. Telle une mère poule très fière, je ne peux m'empêcher de penser: Ahhh ils grandissent si vite! Je remarque ensuite Mike (l'étudiant de Kung-fu) qui se tient à l'écart, visiblement excité de me voir, mais ne voulant pas interrompre nos retrouvailles ''de filles''. Lui ayant pratiquement provoqué une attaque de coeur l'an dernier en lui donnant un calin avant de partir (''Oh Andy, this is a very special hug. You make me think of my mother and I miss her so much...''- dois-je vous rappeler que Mike n'a qu'un an de moins que moi!) , je me rabbat sur la bonne vieille poignée de main et lui en donne tout une en lui disant à quel point je me suis ennuyé d'eux. Finalement arrive Lechung qui me serre dans ses bras; ayant habité avec Terry, il a l'habitude de nos comportements ''inappropriés'' d'étrangers et semble se foutre pas mal des conventions chinoises! Bras dessus, bras dessous, nous traversons tous la rue vers le restaurant alors que plusieurs conversations se mélangent. Les étudiants sont stupéfaits de voir deux générations d'étrangères côte à côte et ils s'amusent à trouver les ressemblances dans nos traits. Ils me questionnent sur mon année à Québec, ne comprenant pas tellement que je puisse maintenant enseigner le français et ils me racontent leurs mésaventures de la dernière année. Emily a décidé de quitter le parti communiste et l'association anglophone, car ils l'empêchaient de travailler. Lechung enseigne l'anglais à Luoyang et habite chez son oncle. Mike termine sa dernière année à Shangqiu et ira étudier l'éducation physique à Nanjing... en effet, ils ont grandi.

Comme à l'habitude notre entrée dans le restaurant ne passe pas inaperçu et je profite de notre passage à côté de la cuisine pour présenter ma mère à la patronne. Après qu'elles se soient dit: ''Ni Hao'', je pousse ma mère vers les escaliers pour ne pas qu'elle puisse jeter un plus long regard dans la cuisine... on ne voudrait quand même pas lui couper l'appétît avant même d'avoir commandé! Assis autour de la table, la conversation va bon train au rythme des différents plats qui s'entassent sur la table. Des pommes de terre au vinaigre, du poulet kung pao, des oeufs aux tomates, du porc aux oignons, du riz frit ... chacun des meilleurs items du menu est amené devant nous et disparaît presque aussi vite. Ma mère se régale déclarant aussi que c'est le meilleur repas que nous avons mangé depuis le début du voyage. C'est alors que je remarque Mike qui est sur le point de vouloir poser une question à ma mère. Se dandinant sur sa chaise, je me demande bien ce qu'il va réussir à sortir, car nous savons tous qu'il n'a pas la langue dans poche et qu'il adore discuter avec n'importe qui. Et il se lance finalement: ''Christiane... how old are you?!''. Et de toutes les questions inapropriés, il arrive d'un seul coup à sortir la GRANDE gagnante à sa première conversation avec ma mère. Les étrangers à table ne peuvent s'arrêter de rire alors qu'il se demande ce qu'il a bien pu dire d'aussi drôle! Emily, telle une grande soeur savante, lui apprend que pour les étrangers c'est une question déplacée et il prend aussitôt une teinte de rouge écarlate alors que nous le rassurons que ce n'est pas grâve et que c'est même plutôt mignon. En tout cas, on ne peut pas dire qu'il ne sait pas animer un repas! Lorsque chacun des plats est vide et que nous sommes tous appuyés sur le dossier de notre chaise, repus, nous décidons de quitter le restaurant pour trouver notre hôtel.

Le destin jouant du coude, notre hôtel est en fait le même endroit où m'avaient amené les dirigeants de l'école pour notre banquet de bienvenue. Notre chambre est beaucoup plus luxueuse que ce à quoi je m'attendais et souffrant toujours d'un peu de fatigue, je dois faire une petite sieste alors ma mère part, caméra à la main, explorer les rues avoisinantes. Après tout, que peut-il lui arriver dans les rues de Shangqiu?!

...

À son retour, je remarque que quelque chose à changé. Elle ne dit pas un mot et se promène dans la chambre visiblement troublée. Elle a le visage d'un personnage de film d'horreur qui vient de voir un fantôme. ''Est-ce que ça va? Tu as vu des choses intéressantes?'', que je la questionne moitié endormie.  Et elle de me répondre: ''Intéressantes?! Je viens de retourner au MOYEN ÂGE!''. Elle commence alors à s'indigner de la salubrité du marché à ciel ouvert où je l'ai envoyé ''voir la couleur locale''. Elle se doutait bien que ce genre d'endroit existait quelque part en Afrique profonde entre deux girafes et plusieurs huttes de pailles, mais ''ICI, en CHINE! Juste à côté de PÉKIN!! Dans un pays SUPPOSÉMENT civilisé!'', elle est complètement outrée! Bon, disons que je ne l'ai peut-être pas envoyé dans le coin le plus ''pittoresque'' de Shangqiu, mais aussi bien partir au bas de l'échelle pour ensuite trouver le super-marché un peu plus ''super''!





Alors qu'elle me montre les photos des ''atrocités'' du marché, nous recevons un texto de Shannon plutôt prometteur: ''Hey guys, there is a song contest tonight at the school. Want to come watch?''. Et comment! Maman prépare-toi, tu n'as rien vu!

Le retour à Shangqiu

Une fainte odeur de déchets et d'urine rejoint mes narines. Les deux pieds dans un sac de cacahouète explosé j'observe le bourdonnement des voyageurs pressés de rejoindre le train sur le point de partir. Il fait chaud et humide, les gens courent dans les escaliers, le vacarme est insupportable. Dans le parc au loin, la statue de Mao observe le traffic cacophonique qui zig-zague autour de la station de train. Déjà, un amas de chauffeurs de taxis se bouscule devant nos yeux, essayant d'attirer notre attention pour nous guider vers leur véhicule. Mais je ne les vois pas. J'observe sans mots Shangqiu et tente de trouver une explication logique pour justifier à ma mère le désastre naturel qu'est cette ville. Les premiers mots s'échappent de mes lèvres, sans filtre: ''What a freaking DUMP!''. Je cligne plusieurs fois des yeux me disant que c'est la fatigue ou le désenchantement d'un voyage prolongé... mais non. Shangqiu est sans aucun doute l'endroit où commencera la prochaine peste chinoise!

Ne pouvant plus tellement ignorer la foule qui s'amasse devant nous, je guide ma mère à travers le barrage de chauffeurs pour nous trouver un taxi au plus vite! Sous le choc, elle me suit silencieuse, absorbant chacun des détails de son entourage avec la même expression qu'un client d'un spa à qui on ordonne d'aller se jetter sous la chute glaciale après une demi-heure de bain tourbillon. Ce n'est pas très zen tout ça... Trop excitée de voir Shannon et mon ancienne université, je presse ma mère qui n'en est pas encore revenu de son premier kiosque de chacuterie à l'air libre et la tire par la manche vers le premier taxi libre. Malgré la crasse, la chaleur et le bruit assourdissant des klaxons, je ne peux m'empêcher de sourire sans retenue. J'ai passé tellement de moments forts et inoubliables à Shangqiu que la seule odeur distincte de la rue me transporte dans mes souvenirs. En chemin vers l'université, je pointe plusieurs endroits pour ma mère qui n'a pu, jusqu'à maintenant, que les imaginer. Le salon de massage, les KTV, l'épicerie ''Dennis'', le cinéma... et la grande barrière devant l'université. D'un seul mouvement, je me catapulte à l'extérieur du véhicule et observe le va-et-vient des étudiants qui procèdent d'une seule vague, vers la rue pour s'acheter leur déjeuner. J'ai envie de courir dans toutes les directions pour explorer mes endroits préférés autour de l'université, mais le poids de mon sac à dos extra-large me ramène à la réalité. Premier arrêt: Trouver Shannon.

Nous traversons ensemble la barrière sous l'oeil curieux du garde de sécurité qui doit bien se dire: ''Messemble que je l'ai déjà vu quelque part celle-là''. En chemin, j'en profite pour tenter de trouver quelconques changements aux bâtiments, mais tout semble pareil. Avant même de pouvoir prendre la première courbe vers la maison, j'entend un grand cri: ''ANDY!! You guys made it!!''. Shannon fonce vers nous sur sa bicyclette et s'arrête à notre hauteur sur la route. ''Wow, I can't believe you are here...'', ''Me neither man, me neither...''. Nous nous observons pendant quelques minutes, passant les commentaires d'usages sur l'allongement de notre chevelure respective, les bienfaits de l'air canadien sur ma peau et mes premiers impressions du retour à Shangqiu. ''Dude I can't believe how disgusting this place really is!'', que je lui lance, pince sans rire, sachant très bien qu'elle compte déjà les ''dodos'' avant son retour au Canada dans les prochains mois­. En chemin vers ''la maison'',  nous croisons le petit chien bâtard qui m'accompagnait tous les jours jusqu'à la porte de mon appartement et j'aime bien penser que le petit regain d'énergie qu'il déploie en nous voyant est signe que mon odeur lui rappelle quelque chose... (ou c'est peut-être les gâteries canines dans les poches de Shannon). Nous empruntons le premier chemin à droite pour passer devant mon ancien appartement et je remarque avec humour que les voisins ont profité de mon absence pour faire avance leur projet d'agriculture entâmé l'année précédante. Le nombre de petits enclos a décuplé et plusieurs autres spécimens fermiers se prélassent dans leur cages. Sacrés chinois...

Je m'arrête un instant devant les marches de mon bâtiment lorsqu'une envie soudaine de retourner à la ''maison'' me prend. Après deux longues semaines de voyage et valises, j'ai tellement envie d'aller m'allonger sur mon divan de bois et de regarder un bon film, une géante Tsingtao à la main... mais une nouvelle famille habite maintenant mon appartement, les deux parents, la tante et les deux enfants, tous entassés dans mon petit logis douteux. Pauvre eux, j'espère qu'ils ont fait réparer les portes d'armoires!

Pour la première fois depuis que nous avons quittés le train, je commence à douter du bien fait de notre retour à Shangqiu. À la joie d'être de nouveau réunie avec mes amis se mélange la tristesse d'ouvrir de nouveau les plaies du départ que j'avais soignés pendant mon année à Québec. Autour de moi, tout se trouve au même endroit, mais plus rien n'est pareil.  Cette fois-ci, je suis véritablement l'étrangère.

Je suis tirée de ma rêverie par ma mère qui s'exclame de la grandeur des lacs qui bordent les appartements. Je rigole en me souvenant des nombreux animaux morts que j'ai vu flotter à la surface de leurs somptueux ''lily ponds'' et je réalise que c'est exactement ce qui justifie mon retour à Shangqiu: Afin de rendre cette expérience tangible et moins personnelle, j'avais besoin que quelqu'un d'autre soit témoin de tout ça. Qu'elle le voit de ses propres yeux et que je puisse toujours me remémorer cette expérience de ma vie en discutant avec l'autre personne qui sera aussi allée vivre l'atmosphère unique de la campagne chinoise. Parce que croyez-moi ce n'est pas ce qu'on voit sur les brochures de l'Université!

Finalement, nous poussons la porte de l'appartement de Shannon où Brett tout souriant nous accueille chez lui. Je pose mon sac sur le sol, fais un calin à leur chat Scrubs et m'enfonce dans le divan pour vivre chacune des minutes à Shangqiu.