Thursday, August 2, 2012

Le retour à Shangqiu

Une fainte odeur de déchets et d'urine rejoint mes narines. Les deux pieds dans un sac de cacahouète explosé j'observe le bourdonnement des voyageurs pressés de rejoindre le train sur le point de partir. Il fait chaud et humide, les gens courent dans les escaliers, le vacarme est insupportable. Dans le parc au loin, la statue de Mao observe le traffic cacophonique qui zig-zague autour de la station de train. Déjà, un amas de chauffeurs de taxis se bouscule devant nos yeux, essayant d'attirer notre attention pour nous guider vers leur véhicule. Mais je ne les vois pas. J'observe sans mots Shangqiu et tente de trouver une explication logique pour justifier à ma mère le désastre naturel qu'est cette ville. Les premiers mots s'échappent de mes lèvres, sans filtre: ''What a freaking DUMP!''. Je cligne plusieurs fois des yeux me disant que c'est la fatigue ou le désenchantement d'un voyage prolongé... mais non. Shangqiu est sans aucun doute l'endroit où commencera la prochaine peste chinoise!

Ne pouvant plus tellement ignorer la foule qui s'amasse devant nous, je guide ma mère à travers le barrage de chauffeurs pour nous trouver un taxi au plus vite! Sous le choc, elle me suit silencieuse, absorbant chacun des détails de son entourage avec la même expression qu'un client d'un spa à qui on ordonne d'aller se jetter sous la chute glaciale après une demi-heure de bain tourbillon. Ce n'est pas très zen tout ça... Trop excitée de voir Shannon et mon ancienne université, je presse ma mère qui n'en est pas encore revenu de son premier kiosque de chacuterie à l'air libre et la tire par la manche vers le premier taxi libre. Malgré la crasse, la chaleur et le bruit assourdissant des klaxons, je ne peux m'empêcher de sourire sans retenue. J'ai passé tellement de moments forts et inoubliables à Shangqiu que la seule odeur distincte de la rue me transporte dans mes souvenirs. En chemin vers l'université, je pointe plusieurs endroits pour ma mère qui n'a pu, jusqu'à maintenant, que les imaginer. Le salon de massage, les KTV, l'épicerie ''Dennis'', le cinéma... et la grande barrière devant l'université. D'un seul mouvement, je me catapulte à l'extérieur du véhicule et observe le va-et-vient des étudiants qui procèdent d'une seule vague, vers la rue pour s'acheter leur déjeuner. J'ai envie de courir dans toutes les directions pour explorer mes endroits préférés autour de l'université, mais le poids de mon sac à dos extra-large me ramène à la réalité. Premier arrêt: Trouver Shannon.

Nous traversons ensemble la barrière sous l'oeil curieux du garde de sécurité qui doit bien se dire: ''Messemble que je l'ai déjà vu quelque part celle-là''. En chemin, j'en profite pour tenter de trouver quelconques changements aux bâtiments, mais tout semble pareil. Avant même de pouvoir prendre la première courbe vers la maison, j'entend un grand cri: ''ANDY!! You guys made it!!''. Shannon fonce vers nous sur sa bicyclette et s'arrête à notre hauteur sur la route. ''Wow, I can't believe you are here...'', ''Me neither man, me neither...''. Nous nous observons pendant quelques minutes, passant les commentaires d'usages sur l'allongement de notre chevelure respective, les bienfaits de l'air canadien sur ma peau et mes premiers impressions du retour à Shangqiu. ''Dude I can't believe how disgusting this place really is!'', que je lui lance, pince sans rire, sachant très bien qu'elle compte déjà les ''dodos'' avant son retour au Canada dans les prochains mois­. En chemin vers ''la maison'',  nous croisons le petit chien bâtard qui m'accompagnait tous les jours jusqu'à la porte de mon appartement et j'aime bien penser que le petit regain d'énergie qu'il déploie en nous voyant est signe que mon odeur lui rappelle quelque chose... (ou c'est peut-être les gâteries canines dans les poches de Shannon). Nous empruntons le premier chemin à droite pour passer devant mon ancien appartement et je remarque avec humour que les voisins ont profité de mon absence pour faire avance leur projet d'agriculture entâmé l'année précédante. Le nombre de petits enclos a décuplé et plusieurs autres spécimens fermiers se prélassent dans leur cages. Sacrés chinois...

Je m'arrête un instant devant les marches de mon bâtiment lorsqu'une envie soudaine de retourner à la ''maison'' me prend. Après deux longues semaines de voyage et valises, j'ai tellement envie d'aller m'allonger sur mon divan de bois et de regarder un bon film, une géante Tsingtao à la main... mais une nouvelle famille habite maintenant mon appartement, les deux parents, la tante et les deux enfants, tous entassés dans mon petit logis douteux. Pauvre eux, j'espère qu'ils ont fait réparer les portes d'armoires!

Pour la première fois depuis que nous avons quittés le train, je commence à douter du bien fait de notre retour à Shangqiu. À la joie d'être de nouveau réunie avec mes amis se mélange la tristesse d'ouvrir de nouveau les plaies du départ que j'avais soignés pendant mon année à Québec. Autour de moi, tout se trouve au même endroit, mais plus rien n'est pareil.  Cette fois-ci, je suis véritablement l'étrangère.

Je suis tirée de ma rêverie par ma mère qui s'exclame de la grandeur des lacs qui bordent les appartements. Je rigole en me souvenant des nombreux animaux morts que j'ai vu flotter à la surface de leurs somptueux ''lily ponds'' et je réalise que c'est exactement ce qui justifie mon retour à Shangqiu: Afin de rendre cette expérience tangible et moins personnelle, j'avais besoin que quelqu'un d'autre soit témoin de tout ça. Qu'elle le voit de ses propres yeux et que je puisse toujours me remémorer cette expérience de ma vie en discutant avec l'autre personne qui sera aussi allée vivre l'atmosphère unique de la campagne chinoise. Parce que croyez-moi ce n'est pas ce qu'on voit sur les brochures de l'Université!

Finalement, nous poussons la porte de l'appartement de Shannon où Brett tout souriant nous accueille chez lui. Je pose mon sac sur le sol, fais un calin à leur chat Scrubs et m'enfonce dans le divan pour vivre chacune des minutes à Shangqiu.    

1 comment:

  1. Aaaaah je m'y vois avec vous ! Je revois chaque détail que tu évoques !
    Quel tourbillon d'émotions !

    J'ai hâte de lire la suite !

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